Je suis un héros... Enfin, dans la tête malicieuse de la journaliste Claudia Nuara, qui en posant notre traditionnel espresso sur la table, me décrit sa vision du technicien de spectacle: une figure en équilibre sur une échelle à des mètres de hauteur, en train d’accrocher des projecteurs et de manipuler des câbles électriques. Le truc hyper dangereux quoi. J’en rirais presque si la sécurité n’était pas un sujet aussi vital dans notre métier.

Travailler sur deux niveaux sécuritaires

Etonnamment, il y a peu d’accidents par rapport à la quantité de dangers qui nous guettent : en sus de ceux cités précédemment - hauteur et électricité - il y a évidemment les mouvements de perches ou de moteurs, des décors qui peuvent vous tomber dessus, les choses lourdes à porter qui vous cassent le dos, les caisses qui pourraient rouler sur les orteils ou les doigts qui se coincent entre deux éléments, une sono branchée à fond qui te brise les tympans, bref, une panoplie de risques qui pourrait en décourager plus d’un. Sans parler des facteurs aggravants que sont par exemple le stress et la fatigue ! Mais les risques sont en partie limités grâce à la formation des personnes et aux infrastructures adéquates, construites dans les normes. Ce qu’il faut comprendre avant tout, c’est que le techniscéniste travaille toujours à deux niveaux : sa propre sécurité et celle du public. L’un ne va pas sans l’autre ! La base de tout cela, c’est l’analyse de risques à tout moment. Il faut absolument développer cette conscience chez les collaborateurs. Car comme dans d’autres métiers, les automatismes ont du bon et du moins bon, alors sachons nous poser la bonne question : quand est-ce que je dépasse le seuil du risque que je maîtrise ?

Phases de travail pour des dangerosités différentes

Le technicien doit donc toujours avoir un petit voyant rouge qui s’allume dans sa tête, constate Claudia, mais j’imagine bien que la limite ne doit pas être très évidente. Non, en effet, mais il n’y a pas à transiger en matière de sécurité. Surtout que l’appréciation personnelle ne fonctionne pas dans l’action. Donc chez Eclipse, nous disons : soyez équipés ! En matière de port du casque par exemple, lors du montage et démontage, nous avons défini précisément les passages où c’est obligatoire et où cela n’est pas forcément nécessaire. Et c’est le chef de chantier qui décide lorsque la phase est terminée et ce n’est pas négociable. Cela ne doit pas être facile avec tous les organisateurs non ? se marre Claudia en finissant son café. C’est vrai, parfois il faut virer d’une salle ou d’une scène le directeur qui vient faire une visite avec ses sponsors parce qu’on est en train de bouger cinq tonnes de matériel sur six moteurs ! Mais c’est de notre responsabilité de ne rien lâcher dans ce domaine.

Changement des règles, nouvelles responsabilités

Les règles sont assez claires tout de même, relance Claudia. Heureusement, la réglementation a bien changé. On ne délègue plus comme autrefois la responsabilité à quelqu’un « tout en bas », aux compétences réduites. La responsabilité est conservée en haut de la hiérarchie de l’organisation concernée. Cela n’empêche pas que certains cas sont délicats. Par exemple, pendant des années, la loi voulait la présence d’un pompier dans chaque théâtre pour la prévention du feu. A un moment donné, il a été décidé que c’était trop compliqué, trop cher et on a mis des alarmes-feu. La responsabilité en matière d’incendie a fini par glisser sur la technique. C’est une problématique compliquée à gérer et il faut être très prudent, notamment avec les désirs des responsables artistiques. Comment, par exemple, respecter les normes en vigueur et la volonté du metteur en scène d’utiliser des fumigènes ou de fumer sur scène…

Un bon responsable technique sait dire non

Il faut donc un niveau de compétences élevées pour prendre les bonnes décisions et garantir la sécurité à tous les niveaux, demande encore Claudia. Il faut comprendre qu’il y a des endroits et des configurations ou il suffit de suivre le concept de sécurité et tout va bien. Et puis, il y a les halles vides ou le festival extérieur. Et là, il faut à chaque fois repartir à zéro. Nous sommes souvent appelés à faire des choses qui vont au-delà de ce qui est défini par le concept de sécurité de base. Il faut alors analyser le risque et prendre des mesures compensatoires qui garantissent un niveau de sécurité au moins aussi grand qu’avant les modifications. Et surtout il faut savoir dire non, que ce soit accepté et ne pas avoir peur d’être viré. Chez Eclipse, la culture est claire : ce n’est pas parce que j’ai le chef en face de moi qu’il a le droit d’imposer des décisions risquées ou hors la loi. Plus facile à faire ou à dire quand on a 30 ans d’expérience comme moi que pour l’apprenti de deuxième année, naturellement, mais c’est ce que nous cherchons à inculquer à tous nos collaborateurs.

Minimiser les risques

Mais si les gens sont d’accord de prendre des risques, de signer des décharges ou je ne sais quoi, où est le problème ? insinue encore Claudia. La question n’est pas là, mais davantage dans la recherche de solutions pour minimiser les risques. Nous convions donc toutes les parties à se mettre autour d’une table et à réfléchir à des propositions. Et cela fonctionne dès le moment où chacun se sent reconnu dans ses compétences. La sécurité est un sacré poids supplémentaire sur les épaules des techniciens, souligne Claudia. Alors que faire avec la tendance actuelle vers le tout sécuritaire ? Le risque zéro n’existe pas et il faut que les gens puissent encore travailler. Ce qui doit aujourd’hui changer, c’est l’importance que l’on donne au développement de la sécurité pour qu’elle ne soit plus considérée comme un obstacle.

Comment ? Cela sera le sujet d’un prochain café, ma chère Claudia !

Laurent Sandoz, CEO Eclipse